On y venait pour regarder pousser les légumes et les fleurs ou seulement nager les poissons rouges dans les arbres. On y venait aussi pour se mettre à l’abri du chahut de la ville. On y venait comme moi pour y écouter parler les poètes. L’avenue de La Chapelle et ses pollutions de bagnoles, nous semblait loin dans ce bout de campagne oubliée.
C’était en 2009. Ils étaient arrivés au 40 rue de La Chapelle Paris 18ème. Sans faire de bruit. Et pour cause. Depuis quatre ans la maison silencieuse et refroidie attendait que quelques bulldozers zélés exécutent la sentence de sa démolition. Ils sont arrivés avec leur fatras de crayons, pinceaux et baguettes de soudure, ils ont fait sauter les cadenas des portes, se sont barricadés à l’intérieur, et puis ils ont rallumé le feu dans les cheminées. Ils ont entendus au profond de leurs cœurs la maison frissonner, ils ont même vu dans leurs rêves, Alice l’ancienne propriétaire, leur sourire.
Tous artistes, ils voulaient mettre leurs rêves à l’abri de ces murs abandonnés. Moi je passais au milieu de leurs esquisses, je venais caresser les chats, vider des bouteilles, retrouver un ami. La nuit dans les allées du jardin, on écoutait les musiciens, les conteurs, le jour les gosses du quartier s’émerveillaient de la ruche aux abeilles, on entendait chanter les merles. La vie s’écoulait tranquillement, la vie s’écoulait normalement.
C’était bien celui-là le Jardin d’Alice. Le vrai. Mais ses jours étaient comptés. Il fallait ici aussi ajouter du standing. Du grand standing. Mais après tout, puisque rien ne dure…