PARIS AU MOIS D’AOÛT (RENÉ FALLET)

Mais oui madame ! C’est quand revient le joli mois d’août, que chaque année me reprend l’envie de re-re-re-lire cette merveille parmi les merveilles, « Paris au mois d’août » de René FALLET.  Bonheur, ô combien amplifié par les années, de retrouver la verve de cet écrivain qui injustement disparait progressivement de nos mémoires. Je dirais que sur cette fameuse île déserte, vous savez, celle où personne ne viendra jamais vous chercher, j’emporterais au moins deux livres,  KEROUAC et ses Clochards célestes et FALLET avec son Paris au mois d’août. Et il me semble bien qu’avec ces deux-là, je pourrais toujours me souvenir d’où je viens et qui je suis, quelque soit l’épreuve.

Je tiens à rendre ce petit hommage à René FALLET et à ses délicieuses héroïnes blondes comme les blés. Bien sûr, pour les connaisseurs, il est d’autres romans de lui beaucoup plus torrides (l’amour baroque, Y a-t-il un docteur dans la salle ?, l’Angevine) et d’autres beaucoup plus burlesques (Le braconnier de Dieu, Le beaujolais nouveau est arrivé, la soupe aux choux etc etc …)  mais « Paris au mois d’août » pour moi, reste le cocktail parfait. A propos, René FALLET se disait irrigué par deux veines, la veine Beaujolais, et la veine Whisky, la première désignant le côté populaire de son œuvre, la seconde son côté sentimental.

Et comme un clin d’œil à mon intention, cet après-midi à la FNAC, un tout jeune vendeur entouré de deux clientes cherchait désespérément dans les rayons en leur disant : il y a un ouvrage de René FALLET sur Paris, je vous le conseille car c’est vraiment un super livre, ça parle d’un amour à Paris, le titre va me revenir dans un instant … 

.

.

« Et moi je m’appelle Plantin. Henri Plantin. j’habite à côté, dans un passage qui relie rue Beaubourg et rue Saint-Martin. J’ai quarante ans depuis une semaine. j’ai une femme, Simone. Trois enfants, Véronique, Gilbert, Fernand. Je suis vendeur à la Samaritaine. je vais à pied à mon travail. Je suis aux articles de pêche, magasin 3. A force de côtoyer les illuminés du gardon, je m’y suis mis, à la « canne roubaisienne en roseau laqué noir, 72,20 F », dès que j’ai compris qu’il nous fallait à tous, pour vivre, un vice, sous peine de mort. Le vice, c’est la santé. C’est l’eau des plantes, le vin de pas mal, les femmes de beaucoup, l’éther de quelques-uns, la politique d’autres encore. Moi, c’est la pêche. Je suis gâté. De la Samar je vois la Seine, et je vends des hameçons toute la semaine. Je suis un voyeur qui serait machiniste au Mayol. La planque. » (Extrait)

.

.

Il regardait les toits avec satisfaction. C’était sa prairie. Il n’y poussait que des chats et, dès que s’absentaient les chats, lui venaient des pigeons de merveille, des pigeons d’un autre monde, d’un monde où l’on disposait d’aile pour survoler les immeubles.

On se mettrait à table dans une demi-heure. Henri goûtait le soir, sa fraîcheur enfin de draps propres. Né dans cet appartement, il ne l’avait jamais quitté. Ses parents le lui avaient laissé lorsqu’il s’était marié. Ils s’étaient retirés à Jaligny, leur village d’origine, en Bourbonnais. Depuis, le père était mort.

Le pigeon blanc se posa sur le toit. Plantin ignorait tout de la longévité de ces volatiles, amis connaissait ce pigeon blanc depuis des années, huit, dix peut-être. Le pigeon le lui rendait bien. Et, comme toujours en le voyant, Plantin songea à la mère Pampine. Elle était jaune, bizarrement jaunâtre, depuis quelques mois. Aurait-elle enfin quelque tumeur maligne, ou mieux, quelque cancer aussi expéditif qu’utérin ?

« Mon Dieu, murmura Henri en s’adressant au ciel dont l’azur se troublait en bleu sombre, faites, en votre immense bonté, que la mère Pampine ait un cancer, si vous en avez un de trop. Ainsi soit-il. »

Marmot, il le priait déjà en ces mêmes termes. dieu n’était pas pressé de rappeler à lui la mère Pampine, et Plantin, honnêtement, le comprenait assez. Tout dieu qu’il était, il redoutait, comme ses brebis, la concierge du numéro six, la plus monstrueuse d’aspect, la plus vénéneuse d’âme du passage.

Quand un chien la voyait pour la première fois, ses poils se hérissaient malgré lui. Quand un pauvre la croisait, il se sentait plus pauvre encore, et frissonnait.

La mère Pampine était la descendante en ligne directe des concierges de 17, donneuses de communards, et qui eurent plus de sang sur les mains, en une semaine, que de poussière leur vie durant. La mère Pampine, qui n’aimait rien, exécrait par-dessus tout les pigeons. (Extrait)

.

.

Un duvet de poussin frissonnait sur la nuque de la jeune femme, un duvet où l’air passait les doigts. Ce n’était plus vraiment blond, c’était si blond que … que … et que … Henri se pinça au travers de la jambe de son pantalon pour s’assurer qu’il n’était pas la proie d’un rêve … Non, elle vivait, elle parlait, c’était une jeune Anglaise d’une beauté déchirante, tout à fait cela, oui, déchirante. Car elle le quitterait d’ici dix minutes et il resterait sur le carreau, déchiré, plus loquedu et plus besogneux que jamais.

Ils repartirent. Il lui devinait, sous la robe rouge, de longues cuisses, longues, longues, comme des brochets de soie, avec sur la peau le duvet même de la nuque. Il en fut étourdi. cet alcool était trop violent, après les train-train du passage et du rayon Pêche.

– Vous êtes pâle, s’effraya-t-elle.

– Pas du tout. Je suis rouge.

Elle le regarda comme tout à l’heure :

– je trouve terrible – elle affectionnait ce mot «terrible » qui devait lui remplacer bien des adjectifs compliqués – votre sens de l’humour.

Il en fut flatté. Il n’était peut-être pas aussi médiocre qu’il avait bien voulu se le répéter comme avec un marteau. (Extrait)

.

.

Elle tremblait. Il la prit par le bras. Sans doute, il était temps de l’embrasser. A cet instant, elle y eût consenti. Mais après ? Les après sont désolés. Tout, Henri, tout plutôt que d’ouvrir la main pour que l’oiseau louche, l’oiseau mouche, l’oiseau bouche s’envole ! Il ne voulut prendre aucun risque. Seuls, deux évènements peuvent bousculer le cours de ces existences étales. La guerre, qui peut acculer le premier venu à la légende et le jeter en sang – sergent Bobillot ! – dans le Larousse. L’amour, de même, peut changer cette peau quotidienne et la distendre à bloc pour que s’y glissent un Hernani, un Sorel, un Fortunio très ahuris de se retrouver là. En un vendeur du rayon Pêche par exemple. Il suffit d’un éclair de chaleur sur Paris au mois d’août pour qu’éclate une grenade à l’endroit où sommeille n’importe qui. Nul ne croit à l’éventualité de cette grenade. Telle qu’au combat, elle paraît principalement destinée aux autres. (Extrait)

.

Paris au mois d’août de René FALLET aux Editions Denoël.

 

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :