« C’est curieux un écrivain. C’est une contradiction et aussi un non-sens. Ecrire c’est aussi ne pas parler. C’est se taire. C’est hurler sans bruit. C’est reposant un écrivain, souvent, ça écoute beaucoup. Ça ne parle pas beaucoup par ce que c’est impossible de parler à quelqu’un d’un livre qu’on a écrit et surtout d’un livre qu’on est en train d’écrire. C’est impossible. C’est à l’opposé du cinéma, à l’opposé du théâtre, et autres spectacles. C’est à l’opposé de toutes les lectures. C’est le plus difficile de tout. C’est le pire. Parce qu’un livre c’est l’inconnu, c’est la nuit, c’est clos, c’est ça. C’est le livre qui avance, qui grandit, qui avance dans les directions qu’on croyait avoir explorées, qui avance vers sa propre destinée et celle de son auteur, alors anéanti par sa publication; sa séparation d’avec lui, le livre rêvé, comme l’enfant dernier-né, toujours le plus aimé. Un livre ouvert c’est aussi la nuit. Je ne sais pas pourquoi, ces mots que je viens de dire me font pleurer. » (Extrait)
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« Quand un livre est fini – un livre qu’on a écrit j’entends – on ne peut plus dire en le lisant que ce livre-là c’est un livre que vous avez écrit, ni quelles choses y ont été écrites, ni dans quel désespoir ou dans quel bonheur, celui d’une trouvaille ou bien d’une faillite de tout votre être. Parce que, à la fin, dans un livre, rien de pareil ne peut se voir. L’écriture est uniforme en quelque sorte, assagie. Rien n’arrive plus dans un tel livre, terminé et distribué. Et il rejoint l’innocence indéchiffrable de sa venue au monde.
Être seule avec le livre non encore écrit, c’est être encore dans le premier sommeil de l’humanité. C’est ça. C’est aussi être seule avec l’écriture encore en friche. C’est essayer de ne pas en mourir. » (Extrait)
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« Je crois que c’est ça que je reproche aux livres, en général, c’est qu’ils ne sont pas libres. On le voit à travers l’écriture : ils sont fabriqués, ils sont organisés, réglementés, conformes on dirait. Une fonction de révision que l’écrivain a très souvent envers lui-même. L’écrivain, alors il devient son propre flic. J’entends par là la recherche de la bonne forme, c’est-à-dire de la forme la plus courante, la plus claire et la plus inoffensive. Il y a encore des générations mortes qui font des livres pudibonds. Même des jeunes : des livres charmants, sans prolongement aucun, sans nuit. Sans silence. Autrement dit : sans véritable auteur. Des livres de jour, de passe-temps, de voyage. Mais pas des livres qui s’incrustent dans la pensée et qui disent le deuil noir de toute vie, le lieu commun de toute pensée. »
(Extrait Marguerite Duras « Ecrire » 1993 Edition Gallimard)
Touché ! ✨✨✨
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