COMME NOUS

Nous sommes retournés près de l’arbre aux pieds duquel nous avions enterré notre jeune lapine. Trois années sont passées, l’environnement a évolué, les buissons d’épineux se sont élevés vers le ciel, ils forment maintenant un mur infranchissable pour les humains, le sol aussi s’est couvert d’arbustes et de hautes herbes, nous avions tant peiné à creuser un modeste trou pour y insérer notre boîte à chaussures. Nous sommes les seuls à savoir. D’autres promeneurs nous ont croisé et se sont probablement demandé ce que faisions accroupis devant cet arbre solitaire. L’émotion est restée la même, c’est mystérieux une émotion.

Ensuite nous avons marché autour du grand lac qui est à cinquante pas de l’arbre. Sur le flanc nord du lac une belle rangée de noyers a été plantée par l’homme et maintenant ils donnent des noix. Les promeneurs le savent, le ramassage est un jeu pour les enfants. Nous en avons tout de même trouvé onze bien cachées dans les herbes folles et les feuilles séchées. Ma fille était heureuse de chercher des fruits à mes côtés, à chaque fois que nous faisons quelque chose ensemble elle rayonne, j’ai beau le savoir, me dire qu’on devrait passer plus de temps ensemble mais le temps file …

Le soir s’installait doucement sur la campagne, les noix dans les poches nous nous sommes assis sur un vieux banc au bois vermoulu pour regarder le soleil en face, ma fille a dit que pendant les vacances scolaires il faudra qu’on revienne tous les trois tôt le matin pour prendre le petit déjeuner sur ce banc. Cette fin d’après-midi d’un dimanche d’automne nous a fait le plus grand bien. Nous nous sommes enfin arrachés de la télé, arrachés de la problématique du Monde.

Quelques insectes s’attardaient dans l’air malgré la baisse des températures et la fin des floraisons. J’ai fermé les yeux. Ma femme et ma fille cueillaient des fleurs de trèfles un peu plus loin. Je ne distinguais pas leur conversation. Je n’entendais plus rien. Surtout pas les cris et les coups portés avec fureur par les policiers du monde entier sur des hommes et des femmes comme nous. Ce sont mes images. Celles qui m’accompagnent chaque jour et presque chaque heure. Mais ce ne sont pas que des images. C’est une réalité qui fonce sur nous en même temps que la dévastation de nos écosystèmes voici la dévastation de la fraternité humaine. Ce n’est pas nouveau. Mais c’est devenu la norme.

J’aimerais te dire ma fille que cette vie est pour toujours peuplée de lapins et de trèfles, j’espère que la tienne le sera, que tu sauras trouver les routes où il sera encore possible. De s’asseoir. De respirer. De penser. D’être encore une fois dans la lumière du soir à se dire que cette offrande déposée aux creux de nos jours est quand même bien la preuve que la conscience humaine a su mériter la confiance des Dieux, puisqu’ils y ont déposé toute la beauté du monde.

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