TOKYO MONTANA EXPRESS (RICHARD BRAUTIGAN)

« Aujourd’hui sur le quai de la gare de Shinjuku où j’étais à attendre le train de la Yamanote, j’ai songé à l’Océan Pacifique. Je ne sais pas pourquoi j’ai songé à un Pacifique qui s’engouffrait en lui-même, s’entre-dévorait et océan, se bouffait les intérieurs, se faisait si petit si petit que déjà il n’était pas plus grand que l’Etat du Rhode Island et toujours continuait à s’avaler et à se rétrécir, – et avec quel appétit ! – à s’alourdir aussi parce qu’alors tout ce que pèse le Pacifique se rentrait dans une forme de plus en plus petite et là tout amassé, se faisait goutte d’eau unique pesant des milliards et des milliards de tonnes. C’est alors que le train est arrivé et comment dirais-je ? C’était pas trop tôt. J’ai laissé le Pacifique derrière moi, là, sur le quai, juste en dessous d’un papier de bonbon. » (extrait Océan Pacifique)

« Ici commence un premier voyage imaginaire au Japon. Vous vous achetez un billet d’avion à San Francisco. Vous êtes surexcité : pensez donc, le Japon ! Cela fait des mois que vous préparez votre voyage. Vous vous êtes fait faire votre premier passeport et aussi une piqûre antivariolique : vous avez encore dévoré des tonnes de dépliants touristiques sur le Japon et ses coutumes. Vous vous travaillez quelques mots et expressions simples – du genre « O hayo » : ça veut dire « bonjour ».

Le jour du départ approche. Vous avez promis de rapporter des cadeaux, des théières, des éventails, etc., etc. Vous avez aussi promis d’écrire des milliers de cartes postales. Vous vous mettez à faire vos valises deux semaines à l’avance. Vous n’avez aucune envie d’oublier quoi que ce soit. Vous vous signez vos traveler’s checks et allez chercher votre billet.

Vient enfin le grand jour : vous êtes au-dessus du pacifique, vous volez vers le Japon. Les heures passent. Côté surexcitation, l’aiguille est quasi dans le rouge : pensez donc, un pays vieux de plusieurs milliers d’années, une civilisation où déjà l’on construisait des temples magnifiques alors que l’Amérique n’en était même pas encore à se fabriquer des cages à poules !

Vous ne voyez rien pendant dix heures et puis, tout d’un coup, vous apercevez la côte, et juste au bord du rivage, le Japon qui commence !

L’appareil ne cesse de se rapprocher de la côte et vous, vous voyez des millions de gens debout sur les plages. Ils ont les yeux levés vers le ciel, ils regardent dans la direction de votre avion et vous, vous n’arrêtez pas de vous rapprocher et puis ça y est, vous savez que c’est bien vers votre avion à vous qu’ils ont tous levé les yeux, et qu’en plus ils tiennent quelque chose dans la main et se mettent à l’agiter, oui, encore une fois, dans la direction de votre avion – à vous.

Et au début vous n’arrivez pas à deviner ce que c’est qu’ainsi ils sont à vous agiter dans la direction de l’avion et puis, encore une fois tout d’un coup, vous découvrez ce que c’est. Eh oui, par millions ils sont tous, hommes, femmes et enfants du japon à saluer votre avion d’autant de millions … de baguettes pour bouffer !

Bienvenu au japon ! »

(extrait Idée pour un début de Japon)

« Ici, à Tokyo, tous les jours je vois des gens tendre des prospectus à d’autres gens. C’est comme ça qu’ils gagnent leur vie : en restant plantés dans la rue à distribuer des prospectus à des individus qu’ils ne connaissent ni d’Eve ni d’Adam, à vouloir que les mêmes dits individus dépensent leur argent à des trucs dont peut-être ils ont besoin, mais dont peut-être aussi ils n’ont pas la moindre utilité.

La plupart du temps, ces inconnus donc ne font nul usage desdits prospectus. Mais se contentent de les jeter par terre et de les oublier aussitôt.

D’autres gens je vois encore – ce sont des hommes – qui eux, se promènent avec des pancartes où à d’autres hommes encore il est recommandé de dépenser du fric dans certains cabinets de massage et autres cabarets proches où des femmes il se trouve pour satisfaire aux desseins dans lesquels les hommes utilisent les femmes et les femmes, elles, prennent l’argent aux hommes.

Souvent ces hommes donc, sont vieux et pauvrement, dégueulassement habillés : là pourtant ils se tiennent et tendent leurs pancartes à promesses érotiques. Et j’aimerais bien moi, que ces vieux arrêtent de faire ça. Et j’aimerais bien moi, qu’ils se mettent à faire autre chose, et aussi que leurs vêtements aient allure un peu meilleure.

Sauf que le monde, c’est pas moi qui peux le changer.

Comme si on ne l’avait pas déjà changé avant que j’y arrive !

Il est des fois où lorsque j’en ai fini d’écrire quelque chose – tiens, pourquoi pas même ceci par exemple – , je me demande si je fais rien autre chose qu’à n’importe qui distribuer d’inutiles prospectus, si moi aussi je ne suis pas petit vieux qui planté sous la pluie, dans de merdiques habits passe son temps à tendre sa pancarte, celle où l’on parle cabaret rempli de squelettes de femmes jeunes et qui, belles et affriolantes, des dominos ont le claquement lorsque de la porte où vous vous tenez lentement elles s’approchent. » (extrait Le vieil homme qui travaille sous la pluie)

(Quelques extraits de ce merveilleux livre de Richard BRAUTIGAN le Tokyo Montana Express – Christian BOURGOIS Editeur – Traduction Robert Pépin)

Tokyo Montana Express

« Je passe une grande partie de ma vie à m’occuper de petites choses, de petits bouts de réel qui sont aussi minuscules que la pincée de sel qu’on ajoute à un plat si compliqué qu’il faut deux jours, parfois même plus, pour le faire cuire. » (extrait)

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