LA MAISON DU JAPON

La maison du japon. Plus que tout autre moment, j’aime la torpeur des après-midi lorsque la grande maison est enfin silencieuse. J’entrouvre la porte de ma chambre, m’assure que les portes de toutes les autres chambres sont fermées, de l’absence de bruit alentour, et descend l’escalier de bois jusqu’au rez-de-chaussée, le bureau près de l’entrée est inoccupé l’après-midi, il y a tout autour de la porte un peu moins de paires de chaussures alignées sur le sol, moins d’odeurs nauséabondes aussi. Qu’il vente ou qu’il gèle, la porte reste en permanence ouverte sur la courette encombrée de vélos. À cet instant et presque à chaque fois je goûte au bonheur simple mais pourtant extraordinaire de pouvoir franchir le seuil de cette porte et sortir pour marcher dans une rue du Japon. Depuis le premier jour de mon premier séjour cet éblouissement intérieur n’a jamais disparu.

Les drôles de pensionnaires qui vivent dans la maison quittent généralement les lieux tôt le matin pour certains avec armes et bagages. La maison accueille toute l’année et avec le plus grand sérieux des hordes de ninjas originaires du monde entier. Ils viennent donc de très loin, États-Unis, Australie, Europe de l’Est, des garçons mais aussi des filles, tous étudiants friands du maniement des couteaux, de l’étranglement, de la luxation et autres délices de la merveilleuse panoplie du shinobi. La raison de leur présence ici est tout simplement la proximité du dojo d’un célèbre maître de ninjutsu dans une ville voisine.

La maison donc. Avec ses deux ailes, comme un petit palais qui n’a rien d’un palais quand on s’en approche, à l’intérieur tout est de guingois, les recoins débordent d’objets, stockés, récupérés, cassés, et puis ces pensionnaires dont la moyenne d’âge est assez jeune, sont tout de même très bordéliques. Une auberge espagnole à Kita-Koshigaya, dans une petite rue bordée de jardins et de champs de légumes. En compagnie du chat roux de la maison qui a été baptisé ninja, je fume ma cigarette sur le banc devant la cuisine observant le voisin d’en face, un retraité qui taille à coups de ciseaux minutieux un pin parasol. Je l’envie d’appartenir à ce pays. C’est bien évidemment naïf de ma part, comme si la seule préoccupation de son existence était de trouver le bon équilibre autour des ramifications de son arbre.  Des collégiens passent sur leurs vélos, je les accompagne du regard. Ainsi parfois, les après-midi m’étaient si bien remplis de ces évènements infimes que je n’éprouvais aucune envie de bouger de mon banc.

Au rez-de-chaussée il y a le bureau de l’accueil, c’est le royaume de Tin-tin. Tin-tin est coréenne, c’est elle qui s’occupe de l’intendance. C’est à dire des entrées et des sorties de tous ces voyageurs qui louent les chambres. Elle a également pour mission de répondre aux demandes les plus variées alors le matin son bureau ne désemplit pas. On s’adresse à elle quand on est en manque d’oreiller, de serviettes propres, de savon, de pantoufles, de vélos, de taxi, d’ordinateur, de prises électriques, de cordon USB ou de pièges à cafards, Tin-tin fouille dans ses tiroirs, remue  les piles de cartons entassés dans son bureau pour dénicher l’objet. Tin-Tin qui nous trouve aussi dans la minute des cours d’Ikebana, des leçons de cérémonie du thé et même des femmes à marier parmi ses voisines du quartier… Avec son irrésistible accent anglais Tin-tin est symboliquement la maman de tous les pensionnaires.

De l’autre côté de la cour il y a la cuisine-salon. Une pièce commune encombrée de gros canapés défoncés où les drôles de pensionnaires affamés se préparent des festins de nouilles déshydratées en regardant les shows débiles de la télévision japonaise. Je les côtoie rarement mais je les entends chaque soir rire et chanter. Ensuite il y a les chambres, ces cellules de moines minuscules dans lesquelles on peut à peine se retourner et qu’il faut aux heures chaudes et humides de l’été partager avec les cafards japonais.

Le trait de caractère le plus important de cette maison est sans conteste son esprit d’ouverture à la Différence. Les quelques japonais qui habitent à l’année dans la maison ou ceux qui proposent leurs services pour que fonctionne cette petite organisation ont en commun de militer pour un Japon plus ouvert au monde et une mixité culturelle, malgré les réticences et les regards courroucés d’une société japonaise peureuse et rétrograde. À l’exemple du manager officiel de la Guest-House, Mr Fusada, professeur d’anglais de son état qui ne cesse de m’encourager à poursuivre ce projet d’écriture qui me dépasse et me répète que lorsque je publierai mon premier livre il sera mon premier lecteur. Mais il oublie parfois qu’il ne comprend pas le français. 

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