Shinjuku une rencontre

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Il suivait des gens qui suivaient d’autres gens, ne savait pas pourquoi il était là à marcher autour de cette gare de Shinjuku. Il n’a jamais aimé venir dans ce quartier mais parfois sa fatigue le fait aller là où il sait qu’il va être encore plus mal et plus vite anéanti. Il n’exclu pas la possibilité que se bousculent quelque part en transparence de son histoire, une troupe de personnages, autant de petits satellites aux tempéraments et aux costumes singuliers, qui n’hésitent pas à se montrer au devant de la scène, à chaque fois qu’ils se sentent cohérents, même s’ils n’y sont pas invités. Il s’en amuse et ne cherche pas de sens à tout ça.

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Il était au milieu de ceux qui avancent sur les trottoirs et semblent aller quelque part. Il avançait lentement à cause des ampoules sous ses pieds et n’était pas curieux de savoir quelle direction il allait choisir à la prochaine intersection. Une avenue, une passerelle, un tunnel. Non il n’y avait aucun questionnement. Il y avait simplement le mouvement du corps qui fonctionnait et la brûlure de l’air dans les poumons.

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Il entendait le son d’une flûte, tous l’entendaient de loin. Le flot des marcheurs en deux files serrées montantes et descendantes, s’écoulait devant un musicien, un homme assez grand, aux cheveux gris, élégant en chemise blanche et cravate, les regards du monde ricochaient contre lui et sa flûte pour se poser plus loin sur le décor, sa présence était comme une pierre au milieu d’un ruisseau, les flots la contournaient, mais rien n’aurait pu le faire bouger de sa place.

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Il ne s’arrêtait pas tout de suite, poussé au loin il laissait le son derrière lui, de plus en plus loin, pourtant les notes exténuées en fin de souffle réussirent à l’extirper du somnambulisme de sa marche. À cet instant, il y eut l’indifférence des passants et il y eut aussi l’appel. Il pensait qu’il devait choisir car quelqu’un appelait. Il revint donc sur ses pas pour faire face au musicien, se tînt à bonne distance, il se sentait comme un animal apeuré par une main qui se tend.

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Le son de la flûte continuait, impossible d’en tirer une mélodie, il semblait n’y avoir aucune structure mais probablement n’était-ce qu’une incompréhension de son oreille occidentale, l’homme n’allait jamais s’arrêter, ou bien avait-il décider de souffler jusqu’à la disparition du dernier des piétons. Ou alors quoi ? Est-ce que ces notes tenues jusqu’à l’agonie étaient porteuses d’un message, s’adressaient-elles à quelqu’un ? Parmi les passants beaucoup avaient au visage un rictus agacé arrivant à la hauteur du musicien, mais une fois l’obstacle franchi ils semblaient perdre un peu de leur crispation. Il se demanda si le son de la flûte n’était pas là pour rappeler à chacun jusqu’où peut se prolonger le souffle, la fragilité de l’expiration, la puissance discrète, oubliée, de l’inspiration. Notre souffle.

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C’est la question qui était posée à tous en cet instant. La question que faisait circuler dans le ciel chaud et humide d’un après-midi de Shinjuku, un homme élégant, planté au milieu d’un ruisseau.

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