FFFFUUUUCCCHHHHHHSSSUUUIIIIIIIIII

Zazen de l’aube. Embrumé. Une semaine à éternuer à renifler et des mouchoirs plein les poches, juste au cas où. Respirer par la bouche. Entrouvrir les lèvres à peine. Se redresser et refaire sa verticale comme on refait son lit. Se tenir à distance du sommeil. Une chasse d’eau cascade dans une tuyauterie au-dessus de nos têtes. Dehors la nuit et la pluie à Paris. La respiration buccale me sèche la gorge. Se redresser. Être là. J’ai pensé : quel bruit ça peut faire d’être là ?

ffffuuuucccchhhhhhhsssuuuiiiiiiiii le son qui vient de l’espace infini qui se répand dans les rues qui remplit le zendo qui finit par s’infiltrer entre mes oreilles, plus le bruit de la chasse d’eau, plus les autres bruits de la ville derrière les vitres, plus tous les bruits de ceux qui sont assis autour de moi. C’est ça être là.

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COMMENTAIRES SUR LA SOCIÉTÉ DU SPECTACLE (GUY DEBORD)

Commentaires sur la société du spectacle (1988) – VII

Avec la destruction de l’histoire, c’est l’événement contemporain lui-même qui s’éloigne aussitôt dans une distance fabuleuse, parmi ses récits invérifiables, ses statistiques incontrôlables, ses explications invraisemblables et ses raisonnements intenables. À toutes les sottises qui sont avancées spectaculairement, il n’y a jamais que des médiatiques qui pourraient répondre, par quelques respectueuses rectifications ou remontrances, et encore en sont-ils avares car, outre leur extrême ignorance, leur solidarité, de métier et de cœur, avec l’autorité générale du spectacle, et avec la société qu’il exprime, leur fait un devoir, et aussi un plaisir, de ne jamais s’écarter de cette autorité, dont la majesté ne doit pas être lésée. Il ne faut pas oublier que tout médiatique, et par salaire et par autres récompenses ou soultes, a toujours un maître, parfois plusieurs; et que tout médiatique se sait remplaçable.

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TOKYO-MONTANA EXPRESS #2 (RICHARD BRAUTIGAN)

La souris

En m’asseyant à une table de mon café habituel à Tokyo, j’ai senti quelque chose de mort. J’ai regardé partout, sans rien voir de mort, et puis l’odeur a disparu, alors j’ai commandé un café.

Avant que n’arrive le café, l’odeur de quelque chose de mort est revenue, avant de disparaître en quelques secondes. Et puis j’ai bu mon café. Quand l’odeur de quelque chose de mort m’est revenue, j’y ai naturellement prêté attention, mais je n’en ai pas fait une histoire.

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UNE HEURE DE JOUR EN MOINS (JIM HARRISON)

Voici plus de vingt ans j’ai commencé à étudier et à pratiquer le zen dans un esprit de cupidité et d’autosatisfaction rapaces. Je me suis aussitôt mis à lire des centaines de livres sur le sujet, presque tous contemporains et imprégnés d’une authentique médiocrité. Nulle part il n’existait un organisme vivant plus autoréférentiel que moi, patate ignorant sa nature de patate.

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LA MAISON DU JAPON

La maison du japon. Plus que tout autre moment, j’aime la torpeur des après-midi lorsque la grande maison est enfin silencieuse. J’entrouvre la porte de ma chambre, m’assure que les portes de toutes les autres chambres sont fermées, de l’absence de bruit alentour, et descend l’escalier de bois jusqu’au rez-de-chaussée, le bureau près de l’entrée est inoccupé l’après-midi, il y a tout autour de la porte un peu moins de paires de chaussures alignées sur le sol, moins d’odeurs nauséabondes aussi. Qu’il vente ou qu’il gèle, la porte reste en permanence ouverte sur la courette encombrée de vélos. À cet instant et presque à chaque fois je goûte au bonheur simple mais pourtant extraordinaire de pouvoir franchir le seuil de cette porte et sortir pour marcher dans une rue du Japon. Depuis le premier jour de mon premier séjour cet éblouissement intérieur n’a jamais disparu.

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CETTE ANNÉE-LÀ

J’ai envie de te raconter que cette année-là je vivais des nuits d’épouvante dans ma petite chambre de la maison de Koshigaya. Le mois de juin était chaud, humide et chaque fin d’après-midi je redoutais l’approche de la nuit. Appréhension de soulever le moindre objet, angoisse de déplacer une chaussure, sueur froide à rester assis devant l’ordinateur, m’efforçant de ne pas penser à ce qui très certainement était en train de grimper sur le mur dans mon dos. Éteindre la lumière, m’efforcer de sombrer dans les limbes, ne pas écouter les bruits de pattes et les grattements infimes …

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EN CHANTIER

Ce blog est en chantier. Textes et photos apparaissent ou disparaissent. Parfois dans la même journée. Les contenus se modifient au fil des jours et de mes humeurs. Je remplace les mots, je supprime les photos mais aussi les articles, beaucoup, environ une centaine ont disparu et ça me fait le plus grand bien. Un rafraîchissement salutaire, j’y vois plus clair dans ma pensée, c’est un travail de coupe forestière, ça m’y fait penser à l’instant, on coupe des arbres de taille moyenne pour que sur le sol démarrent de tout petits arbres d’essences plus rares qui ne pourraient pas grandir sans recevoir leur dose de lumière. Une forêt de mots. Pour un nouveau printemps. On se dit toujours qu’on voudrait bien encore un printemps. J’ai réécrit la plupart des textes du blog qui me sont importants. Pour les autres ils ne sont plus là.

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LES JOURS IMMENSES

Les jours immenses, indifférent aux brûlures de l’été il traverse la ville avec des bottes de sept lieues. La fournaise de juillet qui épuise les corps des vivants s’acharne à le freiner dans sa course mais il ne s’arrête pas, sait-il qu’il doit se soumettre comme les autres à l’évaporation du liquide ? Il traverse les arrondissements le plus souvent sans bus sans métro, laissant aux hommes et aux femmes anéantis par l’absence de l’air le soin de se réfugier sous les climatiseurs des galeries souterraines pour y attendre des jours meilleurs.

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KIZU (MICHAËL FERRIER)

Je vivais dans ce monde et je n’en avais pas d’autre.

Je rangeais mon existence dans les tranches arithmétiquement disposées sur les pages quadrillées de mon agenda. Je voyais les semaines s’étoffer d’obligations en tous genres, réunion de travail, anniversaire, restaurant. Des forêts de chiffres et d’horaires se dressaient au seuil de chacune de mes journées : c’était une vie bien remplie.

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CONNEXION (KAE TEMPEST)

L’apathie, ou la déconnexion, correspond à une absence d’émotion authentique. On fait mine d’être impliqué et attentif à ce qui se passe autour de soi alors qu’on a l’esprit ailleurs. On est accaparé par les préoccupations de la journée à un point tel que les évènements eux-mêmes passent inaperçus ou sont vécus en gros plan ultraréaliste avec un luxe intolérable de détails, comme une menace mortelle.

Tu la sens, cette torpeur en embuscade derrière chaque action ? Ce désir pervers de garder ton calme, de ne pas capituler ? Es-tu du genre à t’imposer des exigences délirantes ? À écouter sans écouter ? À goûter sans avoir le goût ? Est-ce que tu esquives le clash au lieu de le regarder en face ? Tu as l’impression que tout n’est que façade ? Tu avances comme un somnambule sans jamais rien atteindre de concret ? Tu es incapable de cerner tes préférences, tes émotions, et encore moins de les faire primer sur le reste ? Tu te désintéresses de ce qui vient pomper dans tes réserves ?

Quelles réserves ?

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CŒUR PUR (MAURA O’HALLORAN)

Hier j’ai acheté des livres. Je lis des choses sur mu, j’apprends que mu n’est pas un mantra, il ne faut pas juste répéter mu, il faut le prendre à bras-le-corps. Qu’est-ce que mu ? Je suis montée au zendo mu. Je suis mu. Je suis rien, le rien, la vacuité. Je n’existe pas, et pourtant si. Mais rien, absolument rien n’est. Quelque chose s’est mis à trembler au coin de mes yeux. J’ai pleuré, me suis étendue sur le tatami, secouée de lourdes larmes, énormes. Je ne suis rien, mes rêves, mes espoirs, mes prétentions ne sont rien. C’étaient des larmes d’enterrement. Les larmes de mon propre enterrement et personne n’était venu y assister, je pleurais, pleurais, et pleurais encore…

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LE MAÎTRE DE THÉ (YASUSHI INOUÉ)

Dans ma masure délabrée, je me suis aménagé un tout petit espace qu’on ne peut pas vraiment appeler salle de thé, mais où je peux me tenir seul. J’y suis assis, en ce moment même, me laissant porter par mes pensées depuis le début de la nuit ; j’entends encore la voix de Monsieur Toyobo : « Toi qui es jeune, pourquoi te caches-tu ainsi ? » J’aurais voulu lui répondre, tout à l’heure, mais je n’ai pas pu. Maintenant encore, je cherche une réponse en moi, mais je ne sais que dire …

Le mieux serait peut-être de raconter ce qui s’est passé, sans me préoccuper de savoir si cela constituera ou non une réponse. Il s’agit d’un rêve que j’ai fait, à l’aube, environ vingt jours après la disparition de mon Maître, alors que j’étais retourné dans mon village natal…

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J’ATTENDS MA FILLE

J’attends ma fille. Dans ce bistrot parisien du cinquième un homme s’adresse au serveur. Ses paroles résonnent à mes oreilles. Les mots vibrent à la façon de ces clochettes que j’entends parfois tintinnabuler dans les rues du japon. J’attends ma fille. Tout est dit. Est-ce que moi aussi, un jour, pas si lointain d’ailleurs, je prononcerai les mêmes mots ? j’attends ma fille.

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TOKYO MONTANA EXPRESS (RICHARD BRAUTIGAN)

« Aujourd’hui sur le quai de la gare de Shinjuku où j’étais à attendre le train de la Yamanote, j’ai songé à l’Océan Pacifique. Je ne sais pas pourquoi j’ai songé à un Pacifique qui s’engouffrait en lui-même, s’entre-dévorait et océan, se bouffait les intérieurs, se faisait si petit si petit que déjà il n’était pas plus grand que l’Etat du Rhode Island et toujours continuait à s’avaler et à se rétrécir, – et avec quel appétit ! – à s’alourdir aussi parce qu’alors tout ce que pèse le Pacifique se rentrait dans une forme de plus en plus petite et là tout amassé, se faisait goutte d’eau unique pesant des milliards et des milliards de tonnes. C’est alors que le train est arrivé et comment dirais-je ? C’était pas trop tôt. J’ai laissé le Pacifique derrière moi, là, sur le quai, juste en dessous d’un papier de bonbon. » (extrait Océan Pacifique)

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L’HISTOIRE DE WALLACE

Il suit le fil de l’eau sans savoir d’où elle vient ni où elle va. La matinée est déjà chaude, il longe le canal regardant d’un œil distrait les petits panneaux dessinés par les enfants du quartier qui mettent en garde le promeneur contre les morsures de serpents. Des serpents à Tokyo ?  Les hautes tours de Shinjuku lui barrent l’horizon mais il se dirige dans les rues sans perdre son cap.

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MON POIDS SUR LA TERRE

Je voulais écrire un truc du genre “mon poids sur la terre”. Il y a des jours où l’on se sent plume, malmené, soulevé à la moindre rafale. Des jours fragiles et énervés où on ne pèse rien et où la vie pèse des tonnes. Et puis d’autres jours, allez savoir pourquoi, on se déplace aisément avec le sentiment de marcher profondément dans le sol. Des jours de plombs en quelque sorte. 

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Niki Striees

J’ai fait la connaissance de Niki Striees lors de la cérémonie des funérailles de Michel Vray. Niki partageait une belle amitié avec Michel aussi avons-nous apprécié de nous rencontrer pour échanger quelques souvenirs de notre ami commun. Notre rencontre a donc débuté comme une conversation ordinaire pour se poursuivre sous forme d’entretien car les dessins de Niki me plaisent et j’ai voulu en savoir plus sur elle et sur son travail. Je choisis donc aujourd’hui de publier la totalité de nos propos. Niki Striees est une artiste dessinatrice (et aussi graphiste) qui vit et travaille à Paris.

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LE CAHIER DE LA PIERRE QUI VIRE

Michel VRAY a mis entre mes mains une pile de vieux carnets usés et jaunis par les années. Il m’a dit que je pourrais en faire ce que je voudrais. Il m’a dit aussi qu’il était rassuré de savoir que ses carnets ne seraient pas perdus. Alors ils sont là avec moi, dans une grosse boîte, que je n’avais pas ouverte depuis deux ans environ. Aujourd’hui j’ai relu ce carnet que Michel a écrit à l’occasion d’un de ses séjours au monastère de la Pierre Qui Vire en Bourgogne. J’aime beaucoup ce carnet, je me décide à le partager dans ce blog, sa lecture m’apaise, j’espère que vous l’apprécierez aussi. C’est un temps de recueillement, peut-être un temps de prière bien que Michel ne m’ai jamais évoqué un quelconque penchant pour la religion, quoiqu’il en soit il me parlait de ses retraites au monastère comme parmi les moments les plus beaux de son existence.

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LE MONDE DES PLUMES (EXTRAIT)

Un extrait de ce texte incroyable « Le monde des plumes » écrit par Michel VRAY. Une toute petite vidéo que j’avais faite dans sa chambre à Nogent, fenêtre ouverte un soir de janvier 2020. Michel lit son texte sur un écran. Ce petit bout de vidéo est très important pour moi, d’autant que Michel n’est plus là pour me parler. Sa voix me manque, son sourire me manque, sa finesse d’esprit me manque. Je me demande ce qu’il aurait pensé de tout ce que nous vivons maintenant. Il aurait probablement dit « Quel bordel ! »

COMME NOUS

Nous sommes retournés près de l’arbre aux pieds duquel nous avions enterré notre jeune lapine. Trois années sont passées, l’environnement a évolué, les buissons d’épineux se sont élevés vers le ciel, ils forment maintenant un mur infranchissable pour les humains, le sol aussi s’est couvert d’arbustes et de hautes herbes, nous avions tant peiné à creuser un modeste trou pour y insérer notre boîte à chaussures. Nous sommes les seuls à savoir. D’autres promeneurs nous ont croisé et se sont probablement demandé ce que faisions accroupis devant cet arbre solitaire. L’émotion est restée la même, c’est mystérieux une émotion.

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COMPLOTISTE

Bon, voilà un peu plus de deux mois que nous marchons gentiment dans les rues. Souvent les mêmes rues, entre Montparnasse et le Sacré-Cœur, entre Duroc et le Conseil d’Etat, entre Port-Royal et Colonel Fabien, entre la BNF et la Place Clichy … Les centres aérés du samedi nous donnent bonne mine, on se fait des amis, on chante des chansons, on visite les quartiers, on respire le bon air parisien au parfum des gaz de la répression, on repère les petits restaurants dans lesquels on retournera quand on ne sera plus en guerre. Je salive d’avance en criant mes slogans devant les menus étalés aux terrasses.

Incroyable été 2021. Lumineux au-delà de toute espérance. Incroyable flux de vie qui s’est mis à couler dans mon sang. Incroyable rebondissement dans les destinées individuelles. Je suis devenu complotiste moi qui n’était que sage dépourvu de toute sagesse. Méditant endormi sur mon zafu bien à l’abri de mes philosophies et surtout à force d’espérer le mythique silence intérieur je me suis rendu compte que je devenais sourd.

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