Déménagés des ateliers du « 59Rivoli » le temps d’une rénovation, les artistes du collectif occupaient le dernier étage d’un bâtiment de la Rue de La Tour des Dames à Paris (9). Parmi ces phénomènes, je rencontrais en 2009 l’artiste peintre japonaise Etsuko Kobayashi. Je me souviens que j’avais écrit à propos de ses compositions « Nous faisons face à la toile, quelque chose au fond de nous réclame un envol et nous ne comprenons pas. »
Daniel : Depuis combien de temps vis-tu en France ?
Etsuko : Depuis huit ans et cinq mois !
Daniel : C’est précis ! Où vivais-tu au Japon et comment es-tu arrivée en France ?
Etsuko : Je vivais à Nagano, Matsumoto, et depuis l’âge de 14 ou 15 ans, mon rêve était de partir vivre à l’étranger ! Alors j’ai économisé suffisamment d’argent pour partir vivre ailleurs.
Daniel : L’important pour toi était de quitter le Japon, ou bien rêvais-tu d’une destination précise ?
Etsuko : Les deux ! Quand j’étais à l’école, je me sentais angoissée, c’était trop stricte. Si je faisais quelque chose de différent des autres, tout le monde m’attaquait, « elle est bizarre celle-là ! » C’est comme ça à la campagne au Japon ! Mais je pense que c’est partout un peu pareil, même en France peut-être…
J’avais toujours détesté le cours d’anglais ! Mais j’ignore pourquoi : un jour je me suis mise à aimer l’anglais et j’ai eu envie d’apprendre et envie de partir vivre ailleurs. La première fois que j’ai pu voyager à l’étranger, c’était à l’occasion d’une semaine de shopping à Paris ! Je devais avoir 18 ans.
Daniel : Ensuite, après cette semaine parisienne tu es retournée au japon, et dans ta tête, quelque chose avait changé ?
Etsuko : Oui, je me suis mise à étudier le français à la place de l’anglais ! (rire)
Daniel : Maintenant que tu vis à Paris, est-ce que quelque chose te manque du Japon ?
Etsuko : Ma famille et mes amis qui habitent au Japon me manquent.
Daniel : Et dans la façon de vivre japonaise ?
Etsuko : Non rien.
Daniel : Quand tu repenses à ton parcours jusqu’à aujourd’hui, as-tu le sentiment qu’au fond de toi, il y a quelque chose qui te guide, qui t’accompagne ? J’appelle cela le « rêve » mais c’est peut-être un mot trop abstrait, disons, une force intérieure…
Etsuko : Mmmm… Une certitude sans raison ! (rires) C’est cela qui m’a guidé. Pourtant quand j’étais petite je cherchais toujours des raisons. Je croyais qu’il fallait tout d’abord avoir des raisons avant d’avoir des certitudes. Finalement j’ai compris que le présent est un mystère dont nous ne comprendrons les raisons que dans le futur. Maintenant, nous sommes au cœur du mystère. Nous sommes entourés par le mystère. Donc nous sommes libres !
Si nous connaissions tout sur tout, nous ne pourrions jamais être libres, il n’y aurait plus aucune place pour l’imagination.
Avant, lorsque quelqu’un m’interrogeait sur la raison de mes choix, je ne pouvais pas répondre, j’avais peur. Je ne savais pas répondre, mais en plus, j’avais peur de dire « je ne sais pas ». Maintenant je dis : « je ne sais pas, c’est normal ! » (rires).
Daniel : Crois-tu que chaque personne possède au fond d’elle un rêve caché ? Est-ce que tu fais une différence entre avoir un rêve et avoir un désir ?
Etsuko : C’est trop difficile ce que tu me demandes ! (rires) Et pour toi c’est quoi la différence ?
Daniel : Tatatatata !! (rires)
Etsuko : Donne-moi un indice ! Le désir c’est quoi ? Le péché ?
Daniel : Non, laissons de côté la morale religieuse ! Imaginons plutôt quelqu’un qui rêve de devenir musicien, faire des spectacles et avoir un grand public. On peut dire que c’est peut-être le rêve qu’il porte au fond de lui ou bien c’est peut-être un désir !
Etsuko : Comme l’ambition ?
Daniel : Ça fait partie de quoi l’ambition ? Du désir ?
Etsuko : Mmmmm…. C’est très intéressant.
Daniel : Il me semble que la toute première différence entre les deux mondes, le monde artiste et le monde des autres gens, est peut-être avant tout une différence de langage. C’est à dire qu’ en utilisant les mêmes mots, on ne parle pas de la même chose ! Le sens que l’on donne aux mots est différent ! Il me semble que la plupart des gens qui clament haut et fort qu’ils ont des rêves, laissent passer leur vie sans rien y changer, et tous ces « rêves » restent identiques, enfermés dans leurs têtes. « Quand j’aurais du temps… Quand j’aurais de l’argent… » La plupart des gens appellent cela des rêves mais ce ne sont peut-être que des désirs…Même s’ils réalisent leurs désirs, ils sont toujours en manque…
Etsuko : Ils veulent encore et encore !
Daniel : Est-ce que toi, tu vis dans ce système « encore et encore » ? Réponds honnêtement !
Etsuko : Peut-être… Puisque je suis un être humain !
Daniel : Pour toi, une vie idéale, une vie de rêve, comment serait-elle ?
Etsuko : Etre toujours heureux, s’entraider, partager, et propager…
Daniel : Propager quoi ?
Etsuko : Le bonheur, le plaisir, avec les autres. C’est quelque chose que je n’ai compris que cette année. Avant j’étais très égoïste, indifférente aux autres.
Daniel : C’est pour cela que ta peinture change ?
Etsuko : Oui, c’est une année importante. Je sens que la vie est un peu comme une tour toute ronde avec différents étages. A chaque étage, il y a un couloir qui fait le tour. Et dans ce couloir, il y a un escalier pour passer à l’étage supérieur mais tu dois le trouver ! Si tu ne le trouves pas, alors tu fais un tour supplémentaire en restant au même étage ! Si tu réussis à le trouver alors tu peux monter… Moi, au début de cette année, ça y est, j’ai trouvé !
Daniel : Et ça monte jusqu’où ?
Etsuko : A L’infini !! Peut-être, je ne sais pas.
Daniel : C’est important pour toi de vivre en collectivité ? Depuis combien d’année vis-tu dans le squat ?
Etsuko : Huit ans ! Depuis le dixième jour de mon arrivée à Paris ! Comme « par hasard » on m’a appelé, mais ça n’existe pas le hasard.
Daniel : Quand tu vois vivre les gens, qu’est-ce qui t’effrayes le plus dans leur vie ?
Etsuko : Se réveiller tôt tous les matins, prendre le métro, aller travailler dans des bureaux ! (rires) Ça me fait peur ! (rires)
Daniel : Est-ce que c’est difficile d’habiter dans un lieu comme celui-ci ? C’est à dire, être entouré par d’autres personnes en permanence, tu n’aimerais pas vivre dans une maison ou un lieu tranquille pour créer en toute intimité ?
Etsuko : Oui, peut-être qu’un jour j’essayerai… Mais j’ai découvert également l’importance d’habiter avec les autres. Avant, lorsque je vivais au japon, je pensais être quelqu’un qui a besoin de se retrouver dans la solitude. Malgré tout, ici j’arrive à me sentir seule malgré la présence des autres. Chacun respecte l’intimité de l’autre. Finalement je pense que ce mode de vie (le squat) est un bon équilibre !
Daniel : Ton style de travail a changé ces derniers temps, que s’est-il passé ?
Etsuko : Maintenant je travaille sans réfléchir, sans calculer. Avant, techniquement, je calculais beaucoup. J’essayais de trouver quelque chose par la technique.
Depuis peu, je suis en train de préparer le Salon du dessin. Mais depuis pas mal de temps je n’avais plus aucune inspiration ! Alors comme il me faut présenter mon travail au Salon du dessin, je me suis dit « je dessine tout simplement, sans rien calculer ! » Et là, j’ai été surprise de m’amuser à dessiner !
Daniel : Et avant tu ne t’amusais plus ?
Etsuko : Non ! Depuis deux ou trois ans, je cherchais…
Daniel : Cela rejoint ce dont nous parlions sur le désir… Lorsque l’on cherche trop, lorsque l’on veut absolument obtenir un résultat, on ne s’amuse pas, on est inquiet… Peut-être que si nous faisons confiance au rêve, en laissant tomber le désir, le plaisir peut venir…
Etsuko : La simplicité ! Quand j’ai quitté le japon, je suis devenue simple ! Puis j’ai cherché, j’ai cherché et petit à petit je suis devenue à nouveau compliquée ! Et cette année, je suis redevenue simple, j’ai re-compris ! (rire) C’est bien d’être simple.
Daniel : On retrouve à nouveau ton image de la tour avec l’escalier !!
Etsuko : Oui l’escalier en colimaçon !
Daniel : As-tu déjà rencontré des gens qui se disent « artistes » alors qu’au fond de toi, tu penses qu’ils ne sont pas artistes !
Etsuko : Oh non !
Daniel : Pour toi, tous les gens qui pratiquent un art, sont artistes ?
Etsuko : Si cette personne s’assume alors je la respecte.
Daniel : Ça veut dire quoi, s’assumer ?
Etsuko : Si cette personne prend la décision d’être artiste, dans sa manière de vivre. La vie c’est déjà l’art !
Daniel : Mais peut-être qu’il existe des gens qui pratiquent un art mais qui ont une façon de vivre différente de ce qu’ils veulent exprimer ! Une vie un peu menteuse ! Penses-tu qu’il y a des artistes sincères et d’autres menteurs ?
Etsuko : Mmmm… Non, je ne crois pas. Même si aujourd’hui ils mentent… Peut-être que dans le futur ils vont savoir pourquoi ils mentent ! (rires)
Cette interview a été réalisée le 28/05/2009 dans le squat de la rue de La Tour des Dames à Paris (9). Photos portraits © Jean-Michel JARILLOT – Traduction japonaise Shiho SHIMONAGANO.
Daniel:フランスに住んでどのくらいになりますか。
Etsuko :8年5ヶ月になります。
Daniel :正確ですね!日本ではどこに住んでいましたか?また、どういった経緯でフランスへたどり着いたのですか。
Etsuko :私は、長野県松本市に住んでいました。14,15歳のころから、私の夢は外国に住むことでした!だから、そのために十分な資金を貯めたのです。
Daniel:あなたにとって重要だったのは、日本を離れることでしたか。それとも、はっきりした目的地を思い描いていましたか。
Etsuko :両方! 学生時代はとても厳しいもので、つらかった。私が他の人と違うことをすると、みんなから「あの子って変!」と悪口を言われました。日本の田舎ってこんな感じなんです。どこでも多少はそういうものなのかもしれませんが、もしかしたらフランスにおいてさえも・・・
私はずっと英語の授業が嫌いでした。でも、なぜだかわかりませんが、ある日英語が好きになり始めて、勉強したい、そして外国で暮らしたいと思うようになったんです。
私にとって初めての外国旅行は、18歳くらいの時、パリでショッピングを楽しんだ1週間でした!
Daniel:パリジェンヌ気分の1週間後、日本に帰ってから、あなたの中で何かが変わりましたか。
Etsuko:ええ、英語の代わりにフランス語を勉強し始めました!(笑)
Daniel :今あなたはパリで生活している、日本の何がなつかしいと思いますか。
Etsuko :日本に住んでいる家族、友達です。
Daniel :日本の生活スタイルについてはどうですか。
Etsuko :全くなつかしくありません。
Daniel :今日までの経歴を振り返って、あなたの内部には、あなたを導き、同行している何があるという感覚がありますか。私はそれを「夢」と呼んでいます。抽象的すぎる言葉かもしれませんが、いわば内側の力というか・・・
Etsuko:うーん・・・根拠のない確信!(笑)それが私を導いてくれました。でも、私が小さい頃は、いつも根拠を探していたの。確信を抱く前に、まず根拠を持たなければいけないと信じていたのです。やっと私わかったんです。現在は、将来になってみないとその根拠を理解することができない謎だということを。今、私たちは謎の真ん中にいて、それに取り囲まれています。だから私たちは自由なんです!
もし全てを知っていたら、決して自由にはなれないし、想像の余地もないことでしょう。
以前は、人から私の選択に対する根拠について質問されたら、答えることができなかったし、怖かった。答えようがない上に「わかりません」と言うことが怖かったんです。今はこう言います。「わかりません、当たり前でしょう!」って。(笑)
Daniel :人はそれぞれ、その奥底に隠れた夢を持っていると思いますか。夢・欲望に違いはありますか。
Etsuko:とても難しいことを聞くんですね!(笑)あなたにとっては、どう違うのですか。
Daniel:おやおや!!(笑)
Etsuko :手がかりをください!欲望って何ですか。罪のこと?
Daniel:いいえ、宗教上の道徳はおいておきましょう!それよりも、ミュージシャンになって、コンサートを開いて有名になりたいと願う人について想像してみましょう。それは、彼が奥底に持つ夢といえるのか、それとも欲望なのか!
Etsuko :野望みたいなもの?
Daniel :野望は何の一部でしょう。欲望ですか?
Etsuko:うーん・・・とても興味深いですね。
Daniel :私は、2つの世界、アーティスト界とそれ以外の人々の世界のまず大きな違いとは、第一に言葉の違いではないかと思います。つまり、同じ言葉を使っても、同じ事を話していないということです!言葉に与える意味が異なっている!私はこう思うのです、夢について声高にさけぶ大多数の人々は、人生を変えないままやり過ごし、全ての夢は夢のまま頭の中に閉じ込めている。「もし時間があったら・・・お金があったら・・・」大多数の人々がそれを夢とよんでいるけれど、それは欲望でしかないのでは・・・彼らが欲望を実現したとしても、何か物足りなさを感じている・・・
Etsuko:もっともっとと欲が出る!
Daniel:あなたはどうですか?この「もっともっと」思考で生きていますか。正直に答えてください!
Etsuko :多分・・・だって私は人間ですもの!
Daniel:あなたにとって、理想の人生、夢のような人生とはどんなものですか。
Etsuko:いつも幸せでいること、助け合い、分かち合うこと、広めること・・・
Daniel :何を広めるんですか。
Etsuko :他の人へ幸せ、喜びを広めることです。これは今年になってやっとわかったことなのです。以前の私はとても自己中心的で、他の人のことはどうでもよかったんです。
Daniel:それがあなたの絵が変化した理由でしょうか。
Etsuko:ええ、今年は重要な年です。私は、人生とは何層もの階がある円塔みたいなものではないかと思っています。
それぞれの階には塔を1周する廊下がある。そしてその廊下には上の階に通じる階段がある。でもそれを見つけなければいけない。もし見つけられなければ、同じ階にとどまってまた1周することになるんです。もし見つけることができたら、上がることができる・・・私は、今年始めに、そう見つけたんです!
Daniel:どこまで上がっていくのですか。
Etsuko :多分、無限に!わからないけれど。
Daniel:あなたにとって集団生活することは大切ですか。どれくらいスクワット(訳注:アーティストたちによって占拠された建物)で生活しているのですか。
Etsuko :8年間!パリ到着後10日目から!「偶然だね」って言われたけど、偶然なんて存在しないと思います。
Daniel :一般の人々の暮らしを見て、彼らの人生における何がいちばん大変だと思いますか。
Etsuko :毎朝早起きして、メトロに乗って、会社へ出勤すること!(笑)それは怖い!(笑)
Daniel :常に他人に囲まれている、こういった場所に住むことは大変ですか。完全な私生活を持つために、一軒家か静かな場所に暮らしたいと思いませんか。
Etsuko:ええ、いつの日かそうするかもしれません・・・でも、他人と生活することの大切さにも気付いたんです。以前日本で暮らしていたときは、私は、ひとりっきりになる必要がある人間なのだと思っていました。でも、ここでは、他人がいるにもかかわらず、ひとりだと感じることができるんです。それぞれ他人の私生活を尊重している。だから、このスクワットでの生活はうまくバランスが取れているのだと思います!
Daniel :仕事のやり方は最近変わりましたか。何かありましたか。
Etsuko :今は、深く考えずに、計算せずに絵を描いています。以前は技術面でいろいろ計算していました。技術によって何かを見つけようとしていたんです。
少し前から、私はデッサン展覧会の準備をしています。でも、長いことインスピレーションが全然わきませんでした!私の絵をデッサン展覧会で展示しないといけない、だから「シンプルに、何も計算せずに描こう!」と自分自身に言い聞かせました。すると、びっくりしたことに、描くことを楽しんでいたんです。
Daniel :以前はあまり楽しんでいなかったのですか。
Etsuko:楽しんでいませんでした。2,3年は模索していました・・・
Daniel:それは、先ほどの欲望の話につながりますね・・・あまりにも求めすぎる時、結果を絶対に手に入れたい時には、楽しむことができず、不安になる・・・おそらく、欲望を忘れて夢に自信を持ったら、喜びがやってくるのでは・・・
Etsuko:シンプルさですね!日本を離れた時、私はシンプルになりました!それからは模索し続けて、少しづつまた複雑になってしまった!そして今年、私はまたシンプルになったのです、もう一度悟ったんです!(笑)シンプルでいることは心地いいことだと。
Daniel:階段つきの塔という新しいあなたの絵が見える!!
Etsuko:ええ、らせん階段ね!
Daniel:あなたにとってアーティストとは思えないけれど、自分で「アーティスト」と名乗っている人たちと出会ったことがありますか。
Etsuko:いいえ!
Daniel:あなたにとっては、アートを勉強している人はみんなアーティストですか。
Etsuko :もしその人が自分をありのままに受け入れているのであれば、私はその人を尊重します。
Daniel:ありのままに受け入れるとは。
Etsuko:もしその人が芸術家になる、そう生きていくと決心したならば、その人生はもうアートよ!
Daniel:しかし、アートを勉強しているけれど、表現したいこととは違う生き方をしている人たちもいることでしょう!ある意味いつわりの人生!真摯なアーティストと偽善的な人がいると思いますか。
Etsuko:うーん・・・いいえ、そうは思いません。今日彼らがうそをついているとしても・・・おそらくなぜそうするのかを、将来的には彼らは理解することでしょう!(笑)