La souris
En m’asseyant à une table de mon café habituel à Tokyo, j’ai senti quelque chose de mort. J’ai regardé partout, sans rien voir de mort, et puis l’odeur a disparu, alors j’ai commandé un café.
Avant que n’arrive le café, l’odeur de quelque chose de mort est revenue, avant de disparaître en quelques secondes. Et puis j’ai bu mon café. Quand l’odeur de quelque chose de mort m’est revenue, j’y ai naturellement prêté attention, mais je n’en ai pas fait une histoire.
Le vent soufflait et je me suis dit que c’était lui qui transportait l’odeur ; j’ai donc laissé tomber et j’ai regardé avec beaucoup d’attention les gens aller et venir dans la rue. J’adore observer les gens, et le Japon est parfait pour ça. Je suis resté assis là des heures, à observer les gens, et, après avoir fini mon café, j’ai bu un peu de vin.
L’odeur est venue et repartie une centaine de fois et au bout d’un moment je ne m’en suis plus soucié sachant qu’elle allait disparaître. On aurait dit du vinaigre qui se transforme en sucre et du sucre qui se transforme en vinaigre. Ce que je sentais, c’était le stade intermédiaire. En d’autres termes, l’odeur de la mort flottait dans le vent, du moins l’ai-je cru jusqu’à ce que je m’aperçoive que ce n’était pas le vent qui apportait l’odeur, mais moi qui la transportais. À chaque fois que je baissais la tête sur ma poitrine, l’odeur revenait. Et puis je me suis rendu compte qu’elle venait de mon propre cœur.
J’avais quelque chose de mort dans le cœur.
J’ai essayé de comprendre ce que ça pouvait être, cette odeur si forte. Je savais qu’elle n’émanait pas d’un lion, d’un mouton ni d’un chien. Par déduction logique, j’en suis arrivé à la conclusion qu’il s’agissait d’une souris.
J’avais une souris morte dans le cœur.
Que fallait-il que je fasse ?
J’essayais de trouver une réponse à cette question lorsqu’une superbe Japonaise s’est assise à la table voisine de la mienne. Sa table était très proche et elle portait un parfum délicat mais puissant, comme la mort mais dans un autre sens, et l’odeur de son parfum me permettait de ne plus sentir celle de la souris morte dans mon cœur.
Elle est assise à côté de moi en ce moment. J’aimerais bien pouvoir lui dire ce que je viens de vous raconter sur la souris et sur son parfum, mais je ne crois pas qu’elle comprendrait.
Tant qu’elle sera assise là, tout ira bien.
Il faut que je décide ce que je vais faire après.
..
Aurais-je envie d’en écrire des kilomètres pour faire éloge de ce bouquin ce serait vain. Aucun des textes qui composent le voyage du Tokyo-Montana Express n’aurait besoin d’un défenseur. Bon Dieu qu’est-ce qui pouvait courir au fond des yeux de Brautigan quand il contemplait le monde pour que les heures passées à cafarder dans des lieux sordides se changent sur son carnet de notes en conte pour enfant ? Une souris peut-être ? Nouvelle traduction pour cet incroyable Tokyo-Montana Express que je me suis empressé d’acheter.
Tokyo-Montana Express de Richard Brautigan (Traduction de Marc Chénetier) Christian Bourgois éditeur.